#1 31/12/2012 07:37:20

azc
Chiure de gomme
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La Prisonnière du Castel

Allez, bonne lecture !

CHAPITRE 1
I
TOUT EST ACCOMPLI

« Le fleuve et le lac d?Emeraude cernaient le Castel depuis sa construction qui datait du douzième siècle. Louis VII, dit le Jeune, roi de France, avait choisi cet emplacement en 1153 ? soit juste un an après avoir répudié sa femme : Aliénor d?Aquitaine. Nul n?a jamais connu les raisons pour lesquelles le roi avait érigé un tel monument au milieu des eaux. Il existe bien des rumeurs à ce sujet. Des rumeurs auxquelles j?avoue accorder une attention toute particulière. Car j?ai vécu au Castel. Parce que j?y ai vu des choses. Des choses que seules ces théories tendraient à expliquer.
[?] Consummatum Est changea de nom et devint le Castel après la Révolution de 1789. A l?époque, le château était en ruines. Le nouvel acquéreur, Jacob Emmanuel Febvre, fit procéder aux réparations nécessaires mais ne vit jamais l?achèvement des travaux qu?il avait engagés car il mourut en 1815, au sud de la Belgique. A sa mort, le premier né de ses enfants hérita du Castel. [?]
Hubert Febvre, lui, le reçut de son père le cinq mai 1960. [?]
Le vingt-cinq décembre 1984, la femme de Hubert disparut, laissant à son mari la lourde tâche d?élever seul leurs enfants. [?] »
Extrait des LEGENDES DU CASTEL (avant-propos)
Par **
Août 200*

II
L?ESSENTIEL

Thomas passa sous la barrière qui interdisait l?accès aux falaises du lieu-dit : « le Crâne ». Il marcha d?un pas résigné jusqu?au bord du précipice. Des rafales fouettaient son visage et portaient jusqu?à lui le son des vagues qui s?encastraient sur les rochers en contrebas.
Il craignait de se blesser car il savait que son père le corrigerait sévèrement s?il survivait à sa chute. Peut-être avec brutalité. Peut-être en l?enfermant à tout jamais dans sa chambre comme il l?avait fait avec celle que l?on appelait l?Embastillée. Il était plus probable que l?emprisonnement durerait trois jours mais il arrivait aussi à son père de doubler ce délai en cas de faute grave, et Thomas n?aurait pas été autrement surpris d?apprendre que le petit jeu dangereux qu?il pratiquait actuellement figurait en tête de liste des infractions que l?on sanctionnait au Castel.
Les yeux fermés, l?enfant prit son élan pour sauter dans le vide. Au moment où le sol se dérobait sous ses pieds, un coup de vent plus violent que les autres le projeta en arrière. Il heurta le sol brutalement.
C?était un samedi après-midi différent des autres, le premier jour de l?été. L?orage menaçait. Il était déjà dix-sept heures et Hubert n?allait pas tarder à rentrer au Castel. Thomas avait passé l?après-midi dehors, il transpirait abondamment, il devait se changer. Alors, l?enfant fit volte-face et passa sous la barrière. Il traversa au pas de course les immenses pâturages. Il contourna la Chapelle Saint Ezéchiel, se marquant du signe de la croix, et parvint à l?endroit où la muraille du Castel s?était effondrée durant les Années Folles. Il franchit avec agilité les quelques pierres du mur en ruines qui débouchait sur le parc, les vignes et la bergerie. Le château n?était plus très loin.
Lorsqu?il emprunta l?allée principale de la demeure, Thomas était à bout de forces. Suant comme s?il avait eu la fièvre, il s?arrêta pour reprendre son souffle.
Une domestique observait l?enfant, immobile et silencieuse, depuis le mur d?enceinte. C?était Madame Portal, l?intendante. Elle portait un costume noir, le même depuis cinquante ans. Un uniforme dont elle connaissait la valeur et qui, aujourd?hui, faisait ressortir ses cheveux blancs.
Thomas ne remarqua pas sa présence et marcha en titubant jusqu?aux portes du château. Madame Portal le suivit du regard tandis qu?il entrait dans le Castel. Puis elle prit le chemin des cuisines en entrant par la poterne de la Tour Sud-Est.
Il faisait sombre et frais à l?intérieur du château. Thomas frissonna, et commença à monter les marches de l?escalier en pierres qui s?offrait à lui.

III
M. V. & R.

Lorsqu?il reprit connaissance, il était allongé sur le lit de son frère aîné, la gorge sèche et l?estomac noué. Il ignorait combien de temps il était resté inconscient et n?avait gardé aucun souvenir de ce qu?il s?était passé : comment était-il arrivé dans la chambre de Samuel ?
Le petit garçon se redressa maladroitement et s?assit au bord du lit en réfléchissant à la raison de sa présence dans cette pièce. Rapidement, il arriva à la conclusion que si une réponse existait, celle-ci, tôt ou tard, lui serait révélée.
Il posa le dos de sa main sur son front brûlant et contempla la chambre qui semblait dater d?un autre temps. Samuel n?était pas là.
Thomas se leva et fit quelques pas sur le plancher aux lattes de guingois en constatant avec stupeur qu?il portait des vêtements propres. Il n?avait aucun souvenir de s?être changé. Déconcerté, il s?approcha d?une étagère poussiéreuse qui pliait sous le poids de vieux romans. Noël à New York, La fin d?une époque, Rita retourne à Kaposvar, Une heure avant ma mort? il n?en manquait pas un. Samuel avait la collection complète des livres écrits par leur grand-mère. Granny était un écrivain prolifique. En soixante ans, elle avait rédigé plus de deux cents romans et continuait à écrire malgré son âge avancé.
Thomas attrapa l?un des volumes, parmi les plus épais, et tomba par hasard sur un exemplaire qui datait de l?année de sa naissance. Il l?ouvrit à la hâte. La reliure craqua. Il tourna quelques pages, et gagna l?incipit qu?il lut à voix basse :
- « On l?avait enfermée dans le quartier de haute sécurité de l?hôpital, une zone réservée aux malades dangereux. On surnommait cet endroit l?Antre des Irrécupérables car en cent ans, pas un malade n?en était sorti vivant. ? Et alors ? demanda le docteur V. à Rita. ? Vous ne m?écoutez pas, lui répondit-elle. Vous refusez de me comprendre. Docteur, nous n?existons pas. Vous n?existez pas. Pas plus que je ne suis vivante? »
Il ferma l?ouvrage et le rangea à sa place, se disant qu?incontestablement sa grand-mère s?était déjà montrée plus inspirée pour débuter un roman. Cette entrée en matière lui paraissait convenue. Il fallait bien être né au castel pour tirer de telles conclusions mais Virginie, sa s?ur, lui tenait souvent de tels discours.
A côté de l?étagère surchargée se trouvait la mappemonde offerte par Tante Béa pour la confirmation de Samuel. Le gamin la fit tourner en fredonnant la mélodie d?une comptine, puis il posa son index sur le planisphère en attendant que la Terre cessât de tourner. Son doigt désigna une contrée du Canada.
- Cap-Rouge, dit-il en lisant ces deux petits mots qu?on avait griffonnés sur le globe. Cap-Rouge? C?est tellement loin d?ici. C?est si loin du Castel, si loin de tout.
Curieusement, il ne s?étonna pas du fait qu?on avait écrit à la main sur une pièce de cette valeur?
Thomas s?approcha du bureau de son frère, un secrétaire en chêne qui datait de la fin du dix-septième siècle. Samuel l?avait rangé avec soin, comme le reste de la pièce.
Il ouvrit un tiroir. Après tout, puisqu?une force invisible l?avait amené ici sans raison, tout du moins lui échappait-elle encore, Thomas ne voyait pas de mal à s?inventer une justification. Et puisque le comportement de Samuel lui avait paru fort suspect ce matin même, voire franchement inquiétant, il enfonça jusqu?à ses sourcils sa casquette de détective en herbe et entama ses recherches.
Le compartiment renfermait des classeurs, des dossiers de patients, des feuilles d?ordonnance? Il n?y avait ici rien qui aurait pu répondre aux questions que se posait Thomas.
- Aucun intérêt ! lâcha-t-il en ouvrant un second tiroir qui lui, ne contenait que cinq ou six boîtes de médicaments.
Il en restait un dernier à ouvrir mais en tirant sur la poignée, il constata que, contrairement aux deux autres, celui-ci était fermé à clé. Il fouilla un moment le bureau de son frère et dénicha la clé qu?il cherchait dans le second tiroir, à l?intérieur d?un vieux tube d?aspirine.
Le dernier compartiment contenait des lettres et des cartes postales. Thomas alla s?asseoir dans un fauteuil, à côté des livres de Granny, et se chargea de faire le tri du courrier de son frère.
Il fit deux tas à ses pieds, sur le parquet. Un premier à sa droite composé de cartes de v?ux et de lettres d?anniversaires, et un second à sa gauche qui rassemblait tous les autres documents. Moins important que le premier, le second tas éveilla sa curiosité. Thomas chercha la lettre la plus récente.
- « Novembre 1996? Févier 1997? Avril 1997? Mai 1997? »
1er mai 1997

Samuel,

Comment vas-tu ? J?espère que tout se passe bien au château. J?aimerais tant que ce soit le cas?
Le chèque qui se trouve dans cette enveloppe est ta part de la vente de notre maison du Morvan. Sens-toi libre d?en disposer comme tu l?entends !
Sache que R. et moi partons vivre dans les Vosges. Eh oui ! Ce très cher Papa a finalement accepté de nous héberger !
R. est extraordinaire ! Ses résultats scolaires sont excellents. Le déménagement ne semble pas l?inquiéter. C?est pourtant beaucoup de travail ! Heureusement qu?il me donne un coup de main quand il rentre de l?école car je serais incapable d?arriver seule à faire tous les cartons.
Une dernière chose, n?oublie pas que le mois prochain, ce sera son anniversaire. R. aura treize ans !

Nous pensons fort à toi, R. et moi.
Je t?embrasse
M.V.

Thomas posa la lettre sur le parquet, entre les deux piles qu?il avait faites, puis il resta assis, les mains jointes, dans un état second.
Cette lecture lui avait déplu. Thomas ne connaissait pas M.V.. Son frère ne lui avait jamais parlé d?elle. Personne au Castel n?avait jamais parlé d?elle. Et pourtant, cette femme semblait savoir beaucoup de choses sur les Febvre. Particulièrement sur Samuel?
Thomas décida de garder pour lui ce qu?il venait de découvrir. Il ne voulait pas s?attirer les foudres de son frère et refusait de mettre son père en colère.
Une voix tonna :
- La curiosité est un vilain défaut, Thomas ! Il me semblait te l?avoir déjà dit?
A ces mots, l?enfant fit un bond sur son fauteuil.
Il connaissait cette voix... C?était celle de son père : grave, terrifiante. Ce père qui avait fait disparaître sa mère. En la tuant ? En la chassant ?
Ce père qui allait plonger le Castel dans l?un de ses jours les plus noirs, qui allait se mettre à dos ses enfants, ses domestiques? le château lui-même ?
La voix de son père venait de derrière lui. Hubert avait dû entrer dans la pièce sans faire de bruit. Sûrement était-il à la recherche de Samuel. Cependant, au final, point de Samuel dans sa propre chambre mais un autre de ses fils qu?il surprenait en train de faire une bêtise.
- Lève-toi, Thomas ! ordonna son père d?une voix étrangement calme. Approche-toi de moi, il faut que je te batte?
L?enfant tourna la tête en direction de la porte, là, où se trouvait son père. Toutefois, celle-ci était fermée et il n?y avait personne. Les sourcils de Thomas se froncèrent.
- Aurais-je rêvé ?
Et il poussa un soupir de soulagement.

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