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Salut,
je poste un scénar pour avoir des critiques...
Le Jugement des plaines
Je m'appelle Mathieu de Bonmarché. Jamais je ne ressentis le besoin d'écrire un récit de ma vie. Je ne pensais tout simplement pas que l'on pouvait trouver cela intéressant. En fait, j'ai commencé cette ouvrage par simple nécessité, sans réelle raison. Ce n'est qu'après que je réalisai que les événements que je vécu - qui parfois dépassèrent l'imaginable - pouvaient être source d'attention.
Ainsi, voici le récit de mon histoire...
Etant dans l'armée française depuis ma majorité, j'étais désormais, à 27 ans, capitaine de division de carabinier, grade très honorable pour mon âge.
Malgré mon service précoce, je n'avais encore connu aucun affrontement armé quelconque.
Un matin de septembre, alors que le soleil illuminait les rues de Paris, je fus mandé a la demeure du roi.
Je n'y étais allé qu'une fois auparavant, lors d'une réception en l'honneur des militaires.
On me fit entrer dans un cabinet administratif. Quel ne fut pas mon étonnement lorsque je vis Charles de Bonne, le premier ministre en personne, m'inviter à prendre place. Il me tint a peu près ce langage :
- Mon cher de Bonmarché, j'ai eu maintes fois des rapports positifs à votre égard. C'est pourquoi je désirerais vous confier une mission de la plus grande importance.
- De quoi s'agit-il ? demandai-je poliment.
Il se leva et marcha vers la fenêtre, puis commença son énonciation :
- J'ai eu vent, de la part d'un de nos colporteurs hollandais, que la Japon, très réticent aux contacts étrangers, désirait néanmoins connaître nos techniques de guerre afin de mieux utiliser les armes que nous leur vendons. Ainsi nous avons projeté avec un de nos représentants à Nagasaki, d'envoyer un émissaire afin de leur enseigner l'art militaire français. Notre marché dans cette partie du monde n'est que moindre par rapport aux Hollandais, Anglais et Prussiens. En échange de cela, nous aurions le monopole sur la vente d'armes et de munitions, ainsi que des faveurs sur le marché principal.
Il fit une petite pause et revint vers moi.
- La colonisation est devenue maintenant cruciale pour l'avenir de notre pays. Ces atouts nous ouvriraient les portes de l'Asie de l'Est. Nous devons agir au mieux et au plus vite. Vous me semblez l'homme idéal pour accomplir cette tâche. Qu'en pensez-vous ?
En disant cela, il me tendait une boîte de cigare grande ouverte.
Tout le monde sait qu'on ne refuse rien aux gens de la cour, j'acceptai donc, sans trop poser de questions.
Malgré cette décision influencée, je ne m'en portais pas plus mal. La perspective de quitter le pays ne me peinait point. Je n'avais pas parlé à mon père depuis trois ans et ma mère ne demandait guère de mes nouvelles. Mes deux s£urs étaient mariés à de riches bourgeois car mon père sentait la révolution proche et voulait les savoir en sécurité. Tous mes camarades de l'armée n'étaient bon qu'à se soûler dans les cabarets parisiens. J'avais bien quelques bonnes amies dans la capitale mais de nature trop distante, je n'avais jamais su entretenir une relation durable. En clair, rien ne me retenait au pays.
Le 11 octobre 1790, je quittais la terre de France. Je montai à bord d'un navire de commerce hollandais amarré à Brest qui devait me mener jusqu'à Nagasaki, seul porte encore ouverte de l'archipel aux étrangers.
Malgré mes envies d'isolements, c'est le c£ur serré que je regardais s'effacer a l'horizon les côtes françaises.
Ce fut un voyage interminable, où l'on passe plus de temps à compter les jours qu'à les vivre. Les seuls divertissements étaient les récits horrifiques de vieux marins, plus ou moins véridiques, sur la cruauté japonaise envers les étrangers. Cela ne m'effrayait pas, tellement la lassitude du voyage était grande.
Quelques tempêtes me révélèrent que j'étais particulièrement sujet au mal de mer tandis que les jours plats, à quel point l'inactivité pouvait être déplaisante.
Enfin, un matin, je vis le soleil se lever sur le pays du soleil levant : Nagasaki était en vue.
Deux heures après notre arrivée, j'embarquais sur un petit bateau de pêche japonais qui me mènerait jusqu'au port d'Akaru, prêt de Sapporo.
Mes ennuis commencèrent dès mon arrivée au port. Alors que je venais de descendre du bateau, je me rendis compte à quel point mon apparence pouvait différer des japonais. J'étais vêtu de mes habits de hussard, avec mon sabre occidental.
Soudain, j'entendis un cri. Je me retournais : un japonais courait vers moi, brandissant son sabre et hurlant comme un enragé. J'eus juste le temps de sortir le mien pour parer le coup. Il avait un regard de chien.
Tout à coup, un samoura´ vint et s'opposa entre nous deux. Alors mon adversaire lui cracha des paroles que je ne compris qu'après :
- Les étrangers sont interdits sur le territoire, il faut le livrer à la police.
- Range ton sabre, répondit l'autre, ou je serai contraint de sortir le mien.
Ils se fixèrent un long moment, puis mon adversaire rangea son sabre et partit. Ensuite, l'homme se retourna et s'adressa à moi en allemand.
Ayant étudié le prussien durant mon enfance, je pus comprendre.
- Je m'appelle Hiro Kage. Je suppose que vous êtes Mathieu de Bonmarché ?
Il prononçait mon nom horriblement mal, quant a mon prénom, je ne le reconnaissais même pas.
C'était un samoura´ du seigneur Hito, responsable du territoire d'Hokkaidô, ce dernier même qui avait organisé mon intervention au Japon.
Hiro Kage me démontra à quel point mon idée stéréotypée sur les samoura´s était fausse. En effet, ce dernier était un fin lettré. Intellectuel expérimenté, il faisait preuve d'une soif de culture à mon égard très inattendue. Il avait apprit l'allemand avec des livres hollandais, et était désireux d'apprendre le français. Il m'était d'une grande sympathie, et quand je lui parlais, j'avais l'impression d'avoir à faire à un vieil ami. Je rencontrais à ce moment, sans le savoir, mon plus fidèle compagnon.
Il m'expliqua qu'il valait mieux s'en aller au plus vite car ma présence irritait les gens. Effectivement, tous les regards se tournaient vers moi, et les messes basses parsemaient la foule.
Alors que nous nous apprêtions a partir, Hiro me demanda :
- Vous n'avez aucun bagage ?
- Non, monsieur. Un soldat français n'emporte avec lui que ses armes et son courage, répondis-je en mauvais allemand.
Je lui montrai mon sabre et mon fusil.
Il me mena dans une auberge non loin du port.
Nous y vécûmes deux mois. Il m'avait conseillé de ne pas sortir hormis tard dans la nuit, pour ne pas créer de troubles.
N'étant pas extrêmement doué pour l'assimilation, j'ai néanmoins la capacité d'apprendre vite et bien quand cela m'intéresse. Il en fut ainsi pour la langue japonaise. J'étais prit d'une passion admirative pour cette civilisation si différente de la nôtre. Mais j'avais l'impression de tourner mon attention sur quelque chose, pour sortir de cette lassitude de désintéressement.
J'eus quelques difficultés avec la langue écrite et les formules de politesse.
Heureusement, pour cela, Hiro s'avéra être un précieux instructeur. En échange de ses bons soins, je lui parlais de Paris, de Rome, des peintres italiens, de la littérature française. Il buvait mes paroles comme le gosier desséché du bon travailleur avale la gnôle de fin de journée.
Je passais la plupart de mon temps à étudier le langage japonais et à écrire ces lignes que vous lisez.
Ainsi étant, j'étais capable, à la fin de notre séjour à Akaru, de parler et comprendre quasi parfaitement le japonais. Lire et écrire restait néanmoins très difficile.
Un matin de décembre, à l'aube, alors que la neige commençait à tomber, nous quittâmes Akaru en direction de Tsunan, le village où je devais exercer. C'était un petit patelin perdu au fin fond d'Hokkaidô.
Il neigeait déjà depuis début novembre mais cette neige semblait différente, plus sèche que celle imbibée d'iodes des territoires côtiers.
La chute de neige s'intensifia gravement vers mi-chemin ; heureusement Hiro Kage connaissait parfaitement le chemin et les chevaux étaient habitués à ce genre d'intempérie.
Nous mîmes une journée pour arriver, et en fin de soirée, nous vîmes les lumières du village.
Hiro Kage habitait Tsunan depuis toujours ; il était responsable de la sécurité, en tant que représentant du da´myo - seigneur féodal - d'Hokkaidô.
Lorsque nous fumes arrivés chez Hiro, nous emmenâmes nos chevaux dans l'écurie, et ensuite entrâmes dans la maison. Une ravissante jeune femme nous accueillit, prenant bien soin de nous saluer avec toutes les politesses disposées. Ce devait être sa s£ur - il m'en avait déjà parlé.
Après nous être restaurés et réchauffés, nous allâmes nous coucher.
Mes instructions avaient été très claires : je devais former une division de carabiniers avec les hommes du village. Ils avaient choisi celui-ci car, isolé, mon intervention ne soulèverait pas trop de polémiques.
Le lendemain, il avait cessé de neiger. Je pus alors voir la beauté du paysage :
Le village était placé à l'intérieur d'une petite vallée, à laquelle on ne pouvait accéder que par un col. Les montagnes qui entouraient le patelin étaient recouvertes d'une épaisse forêt. Moins hautes que celles du massif central en France, elles avaient cette particularité qui les différenciaient des pentes blanches des montagnes françaises.
Vers l'après-midi, je fis réunir les hommes du village sur la place principale. Ils étaient tous vêtus de tenues blanches, avec le tissu serré au chevilles et des boutons noirs alignés au centre du buste, descendant jusqu'à la taille. Hiro les avait faites coudre par les femmes du village.
Ils se mirent tous en ligne, et pas un ne parla. Ils étaient extrêmement disciplinés, contrairement aux nouvelles recrues françaises que j'avais eu maintes fois l'occasion de former.
J'avais mes habits de militaire, avec mon sabre occidental, et assis sur mon cheval, je les regardais d'en haut. Je commençai mon discours, si pathétique mais malheureusement indispensable :
- Messieurs, je me nomme Mathieu de Bonmarché. Je suis officier de l'armée française et l'on m'a chargé de former ici une division de carabiniers. Désormais, tous les jours, à 18 heures précise, vous vous réunirez ici pour votre enseignement militaire. Ainsi, vous ne serez pas dérangés dans votre journée de travail.
Je descendis de mon cheval puis repris :
- Je me suis présenté, mais lorsqu'on s'adresse à moi on dit "Mon capitaine", et on se tient droit. On obéit aux ordres, on respecte la discipline et tout ce passera pour le mieux.
Il y eut un instant de silence.
- Des questions ? demandais-je.
Tout le monde se tut.
- Très bien, dis-je. Nous allons donc commencer. Je veux deux colonnes égales derrière moi. Exécution !
Ce jour-là, je leur appris à marcher au pas. Ce fut difficile, car ils n'étaient pas habitués à une certaine coordination. Je n'avais jamais été très doué pour jouer le supérieur dur et sévère, mais jusqu'à maintenant jamais je n'avais toléré de négligence.
Mais avec eux, à aucun moment, je n'eus recours à la répression. Leur sens de la discipline m'étonnait grandement.
Dans un premier temps je leurs appris à se servir des armes blanches. Je ne connaissais pas le maniement des sabres japonais, tout ce que je savais c'est que dans la bataille, il valait mieux planter la lame dans le ventre que dans le buste, car l'épée peut rester coincée entre les cotes. Hiro m'apprit beaucoup de choses sur le maniement du sabre japonais, car en plus d'être très cultivé, il était de surcroît un fameux escrimeur.
Il se passa plusieurs jours avant que part un matin brumeux, un convoi nous apporte les fusils hollandais. Hiro était très curieux de connaître la manière avec laquelle nos armes crachaient le feu. Le soir même, lors du service, je les fit distribuer aux hommes.
Nous opérions dans un champ enneigé. J'y avais disposé une grosse courge à environ une cinquantaine de mètres de nous. Je voulais leur faire une démonstration :
- Voyez cette courge là-bas, fis-je. Considérons qu'elle représente la tête d'un ennemi.
Je visai et tirai. La courge, sous l'impact de la balle, éclata en morceaux. Le fracas du tir avait provoqué des hurlements de surprises chez certains hommes. Ils regardaient maintenant en silence l'état du légume.
- Et maintenant messieurs, dis-je, à votre tour.
La plupart d'entre eux était très anxieux à l'idée d'utiliser ces armes si étranges. Ce qui les effrayait le plus, c'était le bruit qu'elles produisaient au moment du tir. Et j'abandonnai l'idée de leur en expliquer la raison. Je donnais mes ordres en français, plus par commodité que par fierté patriotique.
Il fait nuit, et la neige tombe doucement. Juste une douce brise ébruite les rues du petit bourg. Soudain, à l'entrée du village, de l'épaisse brume sort une ombre. C'est un cheval qui marche lentement. Sur son dos, un homme inanimé gît, la tête appuyée contre l'échine de l'animal. Une flèche sort de son dos.
Arrivé vers la place principale, le cheval s'arrête. Instinctivement, le corps glisse et s'effondre sur le sol neigeux. Soudain, il se met à bouger et à se traîner par terre. Il parvient à ramper jusqu'à l'entrée d'une maison. Dans un dernier effort, il cogne avec son poing contre la porte. Soudain, la porte s'ouvre, une jeune femme apparaît, et lorsqu'elle voit le corps, pousse un cri.
- Que se passe-t-il ? demanda Hiro se précipitant aux côtés de sa s£ur.
Lorsqu'il vit l'homme, il posa deux doigts sur sa gorge :
- Il vit encore. Mathieu, aide-moi à le rentrer à l'intérieur !
Mathieu, en train d'écrire son journal, ayant entendu les cris, était accouru a l'entrée.
Nous fîmes venir le médecin du village. Malheureusement, il ne put nous garantir son rétablissement, mais malgré tout, son optimisme me rassurait.
Pour l'instant, il dormait. C'était un jeune homme, peut-être un peu plus de la vingtaine. En plus de la flèche plantée dans son dos, il avait de multiples coupures bénines sur le torse et les épaules.
Nous avions chargé Taé de veiller sur lui.
Le lendemain, en début d'après-midi, alors que je nettoyais mon fusil, Taé m'avertit que l'homme s'était réveillé. Quand je vins le voir, il ne voulut m'adresser la parole. Il fallut qu'Hiro soit à mes côtés pour qu'il se décide a parler :
- Je viens du village de Taki. Il y a deux jours, alors que l'aube se levait, nous avons été attaqué par des pillards. Ils étaient nombreux et bien armés. L'effet de surprise fut tel que nous ne pûmes nous défendre. Ils ont brûlé nos maisons et tué tout le monde. Je pus en réchapper de justesse.
- Comment étaient-ils ? demandais-je.
- La plupart d'entre eux étaient des cavaliers, et d'après leur manière de se battre, je pense que c'était des ronins.
Hiro retint son souffle. Les ronins étaient des samoura´s déchus qui n'avaient plus de maître. N'ayant plus d'honneur, ils n'hésitaient donc pas à attaquer avec des manières des plus sournoises. Hiro dit :
- C'en est assez pour aujourd'hui. Tu es faible. Il faut que tu te reposes.
Hiro et moi sortions dehors. Tout deux regardions l'embouchure de la vallée avec inquiétude.
- Taki n'est qu'à quelques milles d'ici. Si les ronins avancent, leurs prochaine cible sera...
- Oui, je sais, l'interrompis-je, ce sera Tsunan...
Nous avions décidé de décréter le village en état de guerre. Un couvre-feu avait été établi et les femmes avaient l'interdiction de sortir du village tandis que les hommes à faire le service toute la journée. Je les avais avertis du risque d'attaque et voulais les préparer à l'affront.
Ils s'étaient à peu près tous habitués aux armes à feu, et savaient en conséquence s'en servir correctement. Nous avions estimé avec Hiro une éventuelle attaque cinq jours après l'arrivée du rescapé, en tenant compte de plusieurs critères liés au repos et aux vivres.
J'expliquais a Hiro la stratégie à adopter :
- Le seul passage possible pour accéder au village est le col de la vallée. Nous nous placerons en ligne un peu plus loin que l'entrée du village. Nous attendrons qu'ils avancent avant de commencer, ainsi ils seront coincés dans l'aval. S'ils ne sont pas plus d'une quarantaine, quatre exécutions suffiront à les neutraliser.
- Et si ils sont plus que nous le pensons ?
- Et bien les lames claquerons...répondis-je.
Nous avions placé des sentinelles en haut du mont qui surplombait en même temps le village et l'embouchure de la vallée.
Nos prévisions furent quasiment exactes : le matin du septième jour, le clairon des éclaireurs sonna.
Nous nous empressâmes de nous mettre en position. Nous avions une formation en deux ligne de dix personnes. Les hommes avaient leurs tenue blanche, leur fusil à l'épaule, ainsi que leur sabre à la ceinture. Moi, sur mon cheval, à gauche de la formation, j'avais mon uniforme de gradé, mon fusils et mon sabre occidental. Hiro se trouvait à ma gauche. Il refusait de se servir d'armes a feu, mettant en cause son honneur de samoura´, mais m'avait garanti qu'il serait le premier à s'élancer si le combat au corps a corps s'engageait.
Nous restions silencieux dans la neige, et regardions avec une naturelle anxiété l'embouchure de la vallée.
Soudain, nous les vîmes : un, puis deux, puis une dizaine qui arrivaient au sommet du col. Ils montaient des chevaux noirs. La plupart d'entre eux avaient des armures et des casques de guerrier.
Nous ne pouvions pas distinguer l'expression de leur visage car la distance qui nous séparait était trop importante.
Soudain, ils chargèrent, en hurlant des cris de guerre et de mort. Je m'efforçais de garder mon calme. Une fois qu'ils furent rendus un peu plus bas dans la pente, je levai mon sabre et dit :
- Première ligne, armes aux poings !
Puis quelques instants plus tard :
- En joue !
Ils épaulèrent leur fusil.
- A mon signal ! criais-je.
J'attendis un peu et lorsqu'ils furent à distance de tir, je criai en abaissant mon sabre :
- Feu !
Le fracas fut terrible. Les cavaliers de tête tombèrent. Mais les autres continuaient d'avancer en hurlant. Je m'empressais d'enchaîner :
- Première ligne, un pas en arrière ! Rechargez armes ! Seconde ligne, un pas en avant ! En joue, feu !
Des cris de douleur et le bruit sourd des corps qui tombent sur la neige.
Les ordres qui filent, et un nuage de poudre à canon survole le peloton. Au bout de la cinquième exécution, ils n'étaient plus que cinq cavaliers à brandir leur sabre, et au bout de la sixième, un seul d'entre eux avançait vers nous comme un chien enragé.
Alors je lâchai mon sabre, empoignai mon fusil, me mit en joue, visai et tirai. La balle lui transperça la tête de plein fouet et il s'écroula en arrière dans la neige qui devint rouge quelques instants plus tard. Puis le silence, le silence de mort où l'on constate.
A mon grand étonnement, aucun de nos adversaires n'avait tenté reculer. L'honneur ? Le courage ?
La plaine était parsemée de cadavres et des chevaux sans cavaliers se promenaient dans ce jardin macabre.
J'observais mes hommes : ils avaient un air indescriptible, rempli d'étonnement et de perplexité. Celui qui traduisait de la peur d'avoir fait le mal plutôt que de l'avoir subit.
Ils venaient d'assister à une effroyable démonstration de la force occidentale.
Tous les ronins périrent sauf un que l'on soigna. Nous brûlames les cadavres et envoyèrent une dépêche au da´myo annonçant les événements des jours précédents. Nous fêtames abondamment notre victoire, car malgré les esprits troublés, les inquiétudes et les peurs avaient prit fin. J'avais un rapport très étrange avec les soldats : ils me respectaient comme je les respectais mais il m'arrivait de parler amicalement avec eux. La hiérarchie existait mais elle n'apparaissait pas.
Il y a des jours où je pense à mon pays. Que s'y passe-t-il ? La révolution a-t-elle eu lieu ? Mais je préfère oublier ce genre de questions car alors je ressens cette lassitude que les penseurs ont de penser.
Mathieu est en train d'écrire son journal, dans sa chambre, assit en tailleur devant une table basse, à la lueur d'une bougie. Soudain, quelqu'un entre, et s'approche de lui. C'est Taé :
- Alors, beau Français, dit-elle, vous écrivez encore votre journal ?
Elle s'agenouilla à côté de lui.
- Taé ? fit-il.
Ils se regardèrent longuement sans dire mot, demeurant dans ce silence nocturne. Vu la minceur de ses vêtements, et la douceur de son regard, Mathieu devina tout de suite ses attentions. Alors il tourna la tête puis murmura :
- Laissez-moi seul s'il vous plait.
Il patienta un peu puis entendit la porte se fermer. Lorsqu'il se retourna, elle était partie.
Même les simples plaisirs de la vie masculine me paraissent fade. Ce que je cherche, je n'en connais pas la nature. Qu'est-ce qui m'empêche ainsi de vivre ? Une solution, un rêve qui s'en va et s'en vient tel les saisons des années. Mes seules valeurs sont le temps, les jours qui passent sans m'effleurer, sans toucher mon âme, vide.
Dans une salle humide, au sol imbibé d'eau, un homme prend son bain. Dans la baignoire faite de lattes de bois, en forme de tonneau, il se détend, observant la fine vapeur d'eau s'échappant de l'eau chaude.
Soudain, un craquement inquiétant se fait entendre. L'homme tend l'oreille, et perçoit des pas lourds qui font trembler le sol. Soudain, la porte de bois vole en éclats. L'homme fixe alors l'embouchure, et a ce moment il n'a qu'un seul regret, celui de ne pas avoir son sabre à porté de main.
Mathieu est accroupi. Il observe le sol neigeux ainsi que les multiples de bois étalés par terre. Devant lui, une maison dont la paroie faciale est quasiment détruite. Une immense brèche s'ouvre sur le mur de bois et de papier de riz. L'embouchure est un peu plus grande qu'un homme debout.
Il entre à l'intérieur. Plusieurs hommes en blancs y sont déjà et examinent la pièce.
A l'intérieur, il y a une autre embouchure. Mathieu observe les cassures de bois.
Hiro Kage est lui aussi dans la maison et examine les entailles sur le bois.
- Ton avis, Hiro ? demanda Mathieu.
- Les entailles ne sont pas celles d'un katana - sabre japonais - ni d'aucune arme que je connaisse, répondit-il, et pour défoncer ce mur, il faut la force de trois hommes. D'autant plus que pour réaliser ce genre de sinistre avec une lame ou quelque chose qui y ressemble, cela prendrait un temps énorme et inutile. Et puis...
- Et puis il y a ça... l'interrompit Mathieu en pénétrant dans l'énorme trou.
Dans une grande bassine remplit d'eau rougit par le sang, gît un homme éventré, dont les entrailles trempent dans le liquide rougeâtre.
- Ca non plus ca n'a pas été fait avec un sabre, fit Hiro.
- Mais est-ce que théoriquement un homme pourrait faire cela ? demanda le français.
- Oui, avec des outils et beaucoup de temps, ainsi qu'une grande habilité. Malgré tout, je doute de cette possibilité.
Un homme était en train d'examiner précisément les entrailles du cadavre ensanglanté. C'était le médecin du village qu'on avait chargé d'établir une autopsie. Il se leva, l'air perplexe :
- Alors ? demanda Mathieu.
- Toutes les lésions sont dues à des déchirures ou des broyages, fit le médecin. Aucune coupure propre. La chose qui a fait ça n'a pas utilisé de lame. Ca ressemble plutôt à un mort dévoré.
- En bref, tout nous fait penser que c'est un animal qui a fait cela... dit Mathieu.
- Malgré tout, quelques choses m'intrigue, dit le médecin.
- Quoi donc ? questionna Mathieu.
- Aucun organe interne ne manque sauf le c£ur, même le poumon gauche n'est que perforé...
Hiro sortit sur le balcon et observa la plaine complètement enneigée qui s'enfonçait à partir de la pente dans une épaisse forêt. Mathieu le rejoignit :
- Qu'en penses-tu ? demanda-t-il.
- J'en pense que je ne connais aucun animal assez intelligent pour ne dévorer que le c£ur d'une victime.
- Je sais, fit Mathieu, tout ceci est très inquiétant.
- J'ai un mauvais pressentiment, comme si le vent d'hiver nous apportait le malheur.
Le soleil matinal illuminait la foret blanchie par la neige fraîche de la veille. Une fille s'y promène, en kimono typiquement féminin. Le beau temps la fait sourire, et elle est heureuse car elle peut enfin sortir après ces jours d'angoisse. Sa mère l'a envoyée cueillir des baies. Elle marche sur un chemin, orné d'arbres. Tout à coup, elle aperçoit un buisson de baie. Elle s'y penche, mais soudain, dans l'aval direct de la pente, quelque chose attire son attention. Elle lève la tête. Son regard s'emplit de peur. Son panier tombe par terre.
Je n'avais jamais vu pareille horreur. Cet amas de chair sanguinolente et puante, l'hémoglobine accentuée par l'odeur fraîche de l'humidité.
Mon état n'en était pourtant pas affecté. Notre victoire m'avait apporté une certaine crédibilité, et je ne comptais pas la perdre à cause d'un cadavre un peu trop ouvert. Mais de toute façon, je ne cachais rien : cela était dégoûtant mais ne me dégoûtait pas. Et j'admirais Hiro qui restait impassible à toutes manifestations de dégoût, mais il avait sur le visage une expression de préoccupation, comme si il voyait plus d'inquiétude dans le fait lui-même que dans le cadavre.
Beaucoup de questions occupaient mon esprit : quelle chose avait pu faire ça ? Animal ou humaine ? Je ressentais beaucoup d'anxiété mais étrangement aucune réelle peur. Humble celui qui lira cette dernière phrase sans y déceler la moindre vanité mais une grande incertitude. Et c'est ce dernier point qui m'inquiétait le plus.
Depuis mon arrivée au Japon, je n'avais encore jamais eu peur, et pourtant j'en avais eu maintes fois l'occasion. Avais-je gagné en maturité avec cet isolement si brutal en tous points ?
Je ne sais plus depuis combien de temps je ne me suis pas regardé dans une glace, mais je sens mon visage pale et sombre. Mes lèvres sont crispées à force de garder cette expression froide que j'affiche en permanence. Il y a tellement longtemps que je n'ai pas souri...
Mon regard est droit et mes idées très peu joyeuses. Je ressens déjà un grand malaise à utiliser ce dernier mot. Même mes phrases sont sombres. La lassitude s'empare de mon être. Et j'ai maintenant l'impression que mon esprit est noir, très noir.
Mathieu est derrière la maison. Il regarde la forêt. Son regard se plisse. Soudain un cavalier arrive de devant la maison. C'est Hiro. Il a l'air nerveux :
- Mathieu, dit-il, une fille du village est partie ce matin dans la forêt pour cueillir des baies. Elle n'est toujours pas rentrée. Ses parents sont inquiets. Tu crois que...
Mathieu réagit derechef :
- Réunis les hommes, la moitié reste ici pour protéger le village et les autres viennent avec nous chercher la fille.
- Très bien, confirma Hiro.
- Hiro...fit Mathieu alors que ce dernier s'apprêtait à partir.
Hiro s'arrêta :
- Dis-leur de prendre leur fusil, fit Mathieu.
Hiro acquiesça d'un hochement de tête et partit au galop.
La troupe marchait sur le chemin de montagne, étroit, mais assez large pour leur formation en deux colonnes. Mathieu et Hiro, à leur tête, ouvraient la marche. Soudain Mathieu s'arrêta. Sur la neige blanche, il venait d'apercevoir un panier.
La vision de ce panier me serra le c£ur, car il signifiait inévitablement le drame. J'ordonnai de séparer les effectifs en deux et de passer au peigne fin l'aval de la pente.
Laissant mon cheval sur le chemin, je m'élançai le premier, faisant signe aux soldats de me suivre.
Je ressentais le besoin de savoir, de sortir de l'ignorance. Il faisait particulièrement froid et le sol était à moitié constitué de terre et de neige. Chacune de nos respirations formaient de la vapeur.
Soudain, un cri :
- Mon capitaine !
J'accourut. Le soldat qui m'interpellait se trouvait un peu plus haut. Il fixait le sol. Arrivé à quelques mètres de lui, je demandai :
- Vous l'avez trouvé ?
- Oui, enfin je crois, répondit-il.
Et encore plus proche, je fit :
- Où est-elle ?
- Un peu partout...murmura-t-il.
Ses propos étaient justifiés. Dans une petite courbure plate de la pente, se trouvait le cadavre de la jeune fille. Mais pouvions-nous le prouver ? Tout le ventre était ouvert. Des lambeaux de chair entouraient le corps, et les tâches de sang s'étalaient jusqu'à deux mètres. Elle était quasiment totalement défigurée. Un soldat qui arriva juste après moi, vomit à la vue du cadavre. Moi, j'éprouvais surtout une profonde peine à la vue de cet être, si frêle, si féminin, si beau et maintenant si atrocement mutilé. Un profond sentiment de vengeance me pris. Lorsque Hiro vit cela, il resta sans voix. Il serra très fort la poignée de son sabre.
Hiro et moi étions assis en tailleur devant une table basse, en face des parents de la défunte. Ce décès était d'autant plus terrible que le précédent du fait que la première victime n'avait aucune famille proche dans le village. De plus, il s'agissait désormais d'une enfant, quelqu'un qui ne pouvait en aucun cas se défendre.
La mère pleurait à chaudes larmes le visage caché dans ses mains tandis que le père, avec un regard extrêmement bouleversé, regardait dans le vide.
Nous avions ramené les restes du cadavre et en avions déduis la même chose que pour le premier cas. Un seul organe manquait : le c£ur. Les deux cas étaient donc indubitablement liés.
Nous quittâmes la maison car les bruits des sanglots accentuaient la tristesse de nos esprits.
La nuit était tombée et nous marchions tous deux dans la rue déserte du village.
- Je me rappelle que nous avions connu ce genre d'événements en France, commençais-je.
- Comment ? fit Hiro.
- Oui, continuais-je, au début du siècle, une bête mystérieuse terrorisait la région du Gévaudan, dans le massif central. Elle s'attaquait uniquement aux femmes et aux enfants. Bien des battues furent organisées, et bien des gens tentèrent en vain de l'abattre en vain. Le nombre des victimes augmentait chaque jour.
- Et qu'avez vous fait ? demanda Hiro intrigué.
- Au bout d'un certain temps, les crimes cessèrent. Et puis plus jamais on en a entendue parler. On dénombre plus d'une centaine de morts.
- Crois-tu qu'il y aurait un lien ?
- Non, aucun rapport, nos deux pays sont bien trop éloignés. Mais par contre, il y a un lien dans leurs manière d'agir.
- Lequel ?
- La bête du Gévaudan ne s'attaquait qu'aux femmes et aux enfants car ils ne pouvait pas se défendre. En réalité, elle avait peur des fusils des hommes. Ici, c'est la même chose : elle a tué cet homme lorsqu'il était dans son bain car c'était le seul vrai moment où il était éloigné de son sabre. D'autant plus que sa demeure se trouvait loin du village.
- Mais quel animal serait assez intelligent pour agir aussi habilement ? demanda Hiro.
- C'est là le problème. Nous avons la quasi certitude que c'est un individu de type animal qui a fait ça malgré tout, seul un homme est capable d'opérer assez intelligemment. Et pourquoi ne dévorer que le c£ur ?
- Je crois savoir ce qui nous aiderait, fit Hiro.
- Quoi donc ?
- " Si tu ne trouves pas les réponses dans le présent, consulte le passé ".
- Et que ce que ça veut dire ? demandai-je.
- Qu'il faut aller voir les anciens.
- Et il y en a beaucoup dans ce village ? demandai-je un peu ironiquement car je n'avais jamais vu de vieillards à Tsunan.
- Des anciens, il n'en reste qu'un, répondit Hiro. Et il vit seul dans la montagne.
- Tu crois qu'il pourrait nous apprendre quelque chose ?
- Sans doute.
- Très bien, fis-je, nous irons donc le voir demain.
Le lendemain, nous partîmes donc à l'aube, par un ciel clair. Cela m'avait fait mal au c£ur de devoir de nouveau interdire aux femmes de sortir du village, si peu de temps après l'événement des ronins.
Nous passions le col avec anxiété avant de s'engager sur les pentes abruptes de la haute montagne.
Le paysage était superbe. Le ciel était dépourvu de nuage, le vent soufflait doucement, et les pentes enneigées resplendissaient comme nappe de pureté, comme si les nuages du ciel s'étaient aplatis sur les montagnes. Alors je regardais ces plaines. Elles m'intriguaient. Je me sentais dans cette environnement blanc comme dans un tribunal, avec ses juges et ses témoins.
Vers la mi-journée, nous arrivions devant une petite maison, très sombre et sale de l'extérieur.
Nous accrochâmes nos chevaux et nous engageâmes dans l'entrée. Mais à peine avions nous passé le petit escalier préliminaire qu'une voix sourde venant de derrière nous interpella :
- Qui êtes-vous ?
C'était un homme assez petit dont de longs cheveux gris témoignant de la force de l'âge retombaient sur sa nuque. Il avait un large chapeau chinois, ainsi, sa petite taille aidant, ni Hiro ni moi pouvions voir son visage. Nous ne pouvions apercevoir que ses moustaches tombant sur son menton. Hiro intervint en le saluant :
- Maître, je suis Hiro Kage. Nous venons de Tsunan pour vous demander conseil.
- Me demander conseil ? murmura-t-il.
Il s'approcha de moi.
- Et qui est cet homme ? demanda-t-il.
- Je vous présente Mathieu de Bonmarché, dit Hiro, le responsable militaire du village.
- Hum...fit le vieux.
Puis il passa entre nous deux pour entrer dans la bâtisse.
- Entrez donc, dit-il ensuite.
Nous pénétrâmes dans la maison.
Nous étions assis devant le vieillard. La pièce était sombre, et il baissait la tête de manière à ne pas laisser apparaître son visage. De l'encens se consumait dans des récipients de terre cuite, formant des nuages de fumée.
- Alors, mes enfants, racontez moi ce qui vous tourmente ainsi, fit le vieux.
Hiro parla. Il raconta les événements des jours précédents. Lorsqu'il eut finit, un lourd silence s'installa, puis le vieux finit par dire :
- Je suis sûrement l'homme le plus âgé de la région. Lorsque j'étais jeune, je vivais a Tsunan. Je me souviens d'une histoire qui avait bouleversé la tranquillité du village. C'était il y a soixante quinze ans...
J'eus une monté d'adrénaline à ces paroles, et alors l'envie d'entendre la suite devint plus importante que tout.
- Un jour, continua-t-il, un jeune garçon, d'environ une dizaine d'année, marchait dans la forêt, sur un chemin de montagne. Sa mère l'avait envoyé ramasser du bois. Soudain, alors qu'il avait trouvé quelques brindilles, il fut attaqué par une bête étrange, comme un gros loup, mais il n'avait pas pu distinguer sa forme précisément. Elle lui arracha l'oreille gauche et lui lacéra le visage, le défigurant a vie. Par miracle, il réussit à en réchapper.
Le vieillard marqua un temps puis reprit :
- Lorsqu'il rentra chez lui, son père fut prit d'une telle colère qu'il revêtit son armure de guerrier, prit ses armes, et partit dans la montagne afin de tuer la bête qui avait attentée à la vie de son fils.
Il marqua de nouveau un temps :
- A la nuit tombante, il n'était toujours pas rentré. Le lendemain, à l'aube, une expédition fut organisée pour aller le chercher. Ils trouvèrent son corps dans la forêt, baignant dans une mare de sang. Le cadavre était éventré, l'armure déchiquetée et un seul organe manquait : le c£ur.
Le vieux s'arrêta. J'intervins :
- Et ensuite, qu'est devenu le petit garçon ?
- A la vue du cadavre de son père, il fut plongé dans un profond mutisme. Il ne pouvait plus sortir de chez lui étant donné sa difformité. Et la seule chose qu'il disait lorsque quelqu'un lui parlait, c' était : " Si tu veux tuer le mal, il te faudra plonger dedans. "
Cette phrase si ambiguë embrouilla mon esprit.
- Il est temps que vous rentriez chez vous désormais mes enfants. Il ne faudrait pas que vous voyagiez de nuit.
- Maître, fit Hiro, nous voudrions aussi vous proposer de séjourner au village jusqu'à ce que l'affaire soit résolue. Rester seul ici serait dangereux.
- N'ait crainte, mon c£ur est bien trop malade pour intéresser ce monstre.
- Mais...
Le vieux l'interrompit plus brutalement :
- Maintenant partez, je ne vous dirais plus rien.
Hiro se leva. Je le suivis, et après avoir salué en silence, nous sortîmes pour prendre nos montures et finalement, s'en aller.
Lorsque nous sommes partis les nuages avaient recouvert le ciel, et une fine neige tombait, accompagnée d'une faible bise. A mi-chemin, alors que le soleil disparaissait derrière les montagnes, le temps commença sérieusement à se dégrader, et maintenant c'était le blizzard complet. On ne voyait pas à trois mètres, et les flocons de neige nous frappaient si fort le visage que nous dûmes couvrir nos figures et protéger sans cesse nos yeux pour avancer.
Qui sait si la bête n'était pas là en ce moment, à quelques mètres de nous, a nous observer, prête à attaquer ?
J'étais persuadé qu'elle n'oserait pas s'attaquer à deux hommes, l'un armé d'un fusil et l'autre d'un sabre. Nous restions le plus proche possible. J'étais plongé dans mes pensées et j'en oubliais presque le froid. Quelques chose m'intriguait. J'interrogeai Hiro :
- Quel âge a-t-il ce vieux ?
- Je crois...fit Hiro
Nos deux chevaux s'étaient arrêtés en même temps. Ils se mirent à hennir. Soudain, à la lisière de la forêt, j'entendis un grondement, puis ensuite un grognement plus clair. Je regardai Hiro : lui aussi l'avait entendu.
- C'est elle, dis-je, descend de cheval et suis-moi.
- Attends, fit-il, avec ce temps, c'est elle qui a l'avantage.
- Ne t'inquiètes pas, elle ne nous attaquera pas si nous restons ensemble.
Nous attachâmes nos chevaux à un arbre. Je pris mon fusil, et avançai, pénétrant dans la forêt, faisant signe à Hiro de me suivre.
J'aurais tellement voulu dire que mon attitude relevait du courage et pourtant, malgré les apparences, elle était toute contraire. Je n'étais animé que par l'envie de voir ce monstre.
Je faisais remonter le sentiment de vengeance que j'avais eu quand j'avais vu le cadavre de la fillette. Je voulais l'abattre et contempler sa carcasse à mes pieds. Quelle honte ! Quelle bêtise qui commandait mon être à ce moment !
La neige m'arrivait au genoux, et le vent redoublait d'intensité. Je jetai un coup d'£il derrière moi : Hiro avait disparu. Mais au même instant, je perçus des grognements, maintenant très distincts. Je me mit à serrer mon fusil comme on serre la corde qui nous empêche de tomber dans le gouffre de la mort. La neige frappait mes yeux et gelait mes mains. Je balayais les arbres du regard, espérant voir la bête. Soudain, j'entendis un tassement de neige. Je me tournai : je l'aperçus. Une ombre, aux formes furtives, comme un énorme loup, se tenait devant moi. Mais je ne distinguais que les contours, tout le reste était noir, hormis ses yeux rouges qui me fixaient.
Le coup fut direct, comme si je l'avais commandé à mes membres bien avant de l'avoir pensé. Mais à cause de ma position instable sur le sol neigeux, je ne pris pas garde au recul, et la force du tir me fit basculer en arrière. Je me relevai derechef, mais plus rien, plus de grognements, plus d'ombre, plus de bête. Soudain, quelque chose me toucha l'épaule. C'était Hiro. Il cria :
- La lutte est vaine, il faut partir.
Il m'empoigna le coude et m'entraîna vers la sortie de la forêt. Nous grimpâmes sur les chevaux et partîmes, lui devant. Je jetai un dernier regard derrière moi, et le c£ur serré, je me résignai.
Je ne mets pas la suite, j'ai un peu peur du plagiat...
Néanmoins, si vous voulez connaitre la suite, contactez moi...
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Kewan
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