#1 22/01/2005 21:03:04

BILLONMAN
Chiure de gomme
Inscription : 22/01/2005
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Nouveau Venu

bonjour à tous
j'écris des nouvelles courtes, des histoires de tous les jours, qui, selon moi, pourraient servir de support à des dessinateurs en manque d'inspiration, j'en ai  déja laissé deux un peu plus bas dans le forum, à la rubrique "recherche dessinateurs" mais j'accepterais volontiers vos critiques et conseils, alors je vous soumets celle ci :

LA VOIE FERREE                                   

        Ils étaient et resteraient mes meilleurs amis, c'était une certitude, cette même certitude qui me nouait la gorge alors que j'empruntais le chemin qui m'éloignerait d'eux définitivement. La décision avait été difficile, mais je l'avais finalement prise, il le fallait, cela faisait trop longtemps que je repoussais l'échéance, des nuits entières à me torturer l'esprit, à chercher d'autres solutions, mais il avait bien fallu s'y résoudre, je devais partir, et les abandonnerà
Mais une chose était sûre, ils étaient et resteraient mes meilleurs amis.

    Cet après-midi, j'étais passé voir Titus à l'institut, avec Rémi. Il était dans sa chambre, comme tous les jours, assis par terre, jouant au petit trainà
Il semblait heureux malgré tout.
Comme chaque fois qu'il le voyait, Rémi s'était mis à pleurnicher, reniflant bruyamment en frottant ses yeux rougis par l'alcool et la fumée de mauvaises cigarettes. Un discret coup de coude dans les côtes l'avait fait taire, puis il était resté prostré derrière moi, la tête basse, sans dire un mot. Titus a levé la tête et son visage s'est fendu d'un énorme sourire lorsqu'il nous reconnut. D'un geste de la main, il nous fit signe de s'asseoir à ses côtés, près du circuit électrique. Je m'exécutais, la gorge nouée, mais c'était trop pour Rémi, il prit une profonde inspiration pour refouler ses sanglots, passa fébrilement une main tremblante dans les cheveux de Titus pour lui dire tous ces mots qui ne parvenaient pas à franchir la barrière de sa gorge, et sortit précipitamment de la pièce. Je savais que je le retrouverais tout à l'heure, dépité et confus, appuyé contre la voiture, comme chaque foisà
Titus avait pris ma main dans la sienne, et de l'autre, manoeuvrait d'avant en arrière le petit wagon de plastique sur les rails métalliques. Je le regardais, il semblait paisible, son éternel sourire accroché aux lèvres, mais quelque chose fuyait constamment dans son regard.
Au bout d'un quart d'heure, il relâcha l'étreinte de sa main, et se tourna vers la fenêtre. C'était le signal, je devais partir, c'était tout pour aujourd'hui. Cela se passait toujours de la même façon, sans un mot, Titus n'avait plus jamais parlé depuis ce jour là, plus jamaisà

    Dehors, j'avais retrouvé Rémi. Il pleuvait, mais il ne bougeait pas, adossé contre la voiture, l'eau ruisselait sur ses cheveux longs et sales. De ses doigts jaunis, il portait à la bouche un mégot de tabac brun et en recrachait une épaisse fumée blanchâtre. On voyait bien qu'il avait pleuré, mais Rémi il s'en foutait qu'on s'en aperçoive ou pas, il se foutait de tout d'ailleurs, du regard des autres, des apparences, des rumeurs à son propos, il ne cherchait qu'à fuir, baisser la tête pour ne pas affronter les semblants de haine ou de pitié qu'il inspirait, tourner les talons et fuir, encore et encoreà
J'avais posé ma main sur son épaule pour le sortir de ses rêveries, il avait sursauté, apeuré, puis m'ayant reconnu, m'avait lancé son sempiternel regard de chien battu, celui qui me retournait le c£ur à chaque fois, c'était vraiment dur, je n'en pouvais plusà
Et pourtant, je devais être fort, le plus fort des trois, le ciment qui nous  gardait unis depuis si longtemps.   
Nous nous étions connus à l'école primaire : Rémi était le fils du ferrailleur du village, ses parents, pauvres et peu instruits, habitaient à la sortie du village un vieux mobil home, planté de travers au milieu des carcasses rouillées de véhicules accidentés ; Titus, lui n'avait plus ses parents, morts dans un accident de voiture peu après sa naissance, c'est sa grand-mère qui l'élevait, une brave femme mais déjà bien âgée et fatiguée, ce n'était pas facile tous les jours pour tous les deux, et moi, je débarquais de la ville, mon père avait été muté par son entreprise dans ce petit bled où nous ne connaissions personne, maman n'avait pas supporté le changement et nous avait quittés après les premières vacances, j'étais resté ici seul avec papa qui travaillait du matin au soir, me laissant désoeuvré une majeure partie de la journéeà
Ainsi, lors de la rentrée des classes, alors que tous les enfants s'étaient retrouvés entre camarades, nous étions restés seuls tous les trois au milieu de la cour. Personne ne nous parlait, tous passaient autour de nous, nous bousculant sans nous prêter plus d'attention, tant et si bien, qu'ils finirent par nous réunir, nous les trois parias, seuls contre tous, unis à jamais et pour toujours, inséparables depuis ce moment làà

    Cette rencontre avec mes nouveaux camarades de jeux fut pour moi le début d'une des plus belles périodes de toute mon existence. Il ne se passait pas un jour sans que nous inventions de nouvelles aventures extraordinaires, organisant des expéditions fantastiques dans l'un des terrains de jeux les plus magiques pour des enfants de notre âge : la décharge des parents de Rémi. Ceux-ci observaient d'un air méfiant nos rocambolesques aventures, mais en secret, ils étaient si heureux que leur fils se soit trouvé des amis qu'il n'osait rien dire. Combien de confidences, d'éclats de rire et de moments d'émotions avons-nous échangé, installés nonchalamment dans une carcasse de voiture certains mercredis de pluieà
Lorsque le soir tombait, nous nous retrouvions chez la grand-mère de Titus qui nous accueillait chaque fois à une table remplie de biscuits et de bols de chocolats chaud et fumantà
Ensuite, mes deux acolytes me raccompagnaient jusque chez moi, armés de torches électriques qui faisaient naître des animaux magiques sur le bitume à chacun de nos pas. Parfois, lorsque Papa avait pu se libérer un peu plus tôt, ils nous emmenaient manger tous les trois à la petite taverne du village. Alors, ces soirs là, autour de la grande cheminée de l'auberge, il se mettait à nous raconter des histoires merveilleuses de pirates et de corsaires, et devant le regard émerveillé de mes deux compagnons, j'étais aux anges, et tellement fier, tellement fierà
Et puis, petit à petit, nous avons grandi, mûri, nos caractères se sont affirmés, nos différences se sont développées, nous unissant un peu plus encore en nous permettant d'exprimer individuellement nos complémentarités.
Rémi, en vieillissant était devenu un solide gaillard, agréablement charpenté avec un charme rustique qui ne laissait pas indifférent les jeunes demoiselles. Titus, lui était resté frêle et chétif, mais son côté rêveur et distrait faisait littéralement craquer les plus romantiques. Quant à moi, mon profil studieux, mes lunettes et mes vêtements de bonne facture, me donnait un petit air intellectuel qui me permettait de courtiser avec plus ou moins de succès les filles qui nous faisaient tous rêver : les vieilles, enfin les plus âgées, seize ans au moins.
           
C'était le temps de l'insouciance, des premiers amours, des premiers baisers, des premières disputesà
Le soir venu, nous aimions nous rencontrer, pour comparer nos expériences personnelles, mesurer notre niveau d'avancement, en en rajoutant toujours un petit peu pour stimuler la compétition.
Il n'y avait cependant aucune rivalité entre nous, juste une saine émulation qui nous poussait à nous dépasser, à évoluer toujours un peu plusà
Nous avions un point de rendez-vous secret, connu de nous seuls : il fallait emprunter le petit sentier qui traversait la forêt communale, puis au détour du troisième virage, enjamber le bosquet de fougères et d'épineux, passer sous les fils barbelés de la vieille clôture de bois, traverser la clairière, et là, derrière le rideau d'arbre, se trouvait un petit pont de pierre qui surplombait la voie ferrée. C'est là que nous nous retrouvions chaque soir où le temps nous le permettait.
Je me souviens de ce soir là comme si c'était hierà
C'était un soir de printemps tiède et ensoleillé, Titus tenait absolument à nous voir.Lui , d'habitude, si calme, si réservé, était excité comme une puce, bondissant d'un pied sur l'autre, ne tenant plus en place : il était amoureux !
Il avait rencontré le week-end précédent une jeune et jolie demoiselle qui avait succombé à son charme poétique lors d'une soirée inter études organisée par le préfet de la région.
Seulement la belle était en école privée dans le village voisin, et il n'avait pu la voir de toute la semaine. Certes ils avaient tout de même réussi à échanger quelques mots au téléphone, mais Titus, observé en permanence par sa grand-mère n'avait réussi à lui balbutier que quelques banalités d'usage.
Elle rentrait ce soir pour le week-end, et le train qui l'amenait allait emprunter d'un instant la voie ferrée à quelques mètres sous nos pieds. Il fallait voir dans quel état d'excitation se trouvait notre camarade !
Excitation qui ne semblait pourtant pas du tout émouvoir Rémi, qui occupait le temps en jetant de petits cailloux sur les rails. Ce qui ne tarda pas à mettre Titus hors de lui :
- Mais bon sang Rémi, arrête donc ! Je ne veux pas que le train soit retardé à cause de cailloux sur les voies !

Ce cri d'alarme ne stoppa absolument pas Rémi qui, au contraire, partit d'un énorme éclat de rire, en bombardant de plus belle les rails de gravillons.
-    Mais enfin, gros bêta, ce n'est pas avec mes gravillons que je vais arrêter ce fichu train, crois-moi ! Et puis, cesse de t'énerver comme ça, ce n'est pas ce soir que tu la verras, ta chérieà
-    Et qu'est-ce que tu en sais toi, hein ?
-    Eh bien, je le sais, c'est tout !
-    Vas-tu enfin me le dire, nom d'un petit bonhomme ?
J'intervins à ce moment là :
-    C'est vrai Rémi, si tu as quelque chose à nous dire, il faut le dire maintenant. Regarde dans quel état de nerfs se trouve Titus, c'est pas humainà
-    Ben, ce soir, en rentrant à la maison, j'ai croisé les parents de sa chérie à Titus. Ils étaient chez mes vieux, ils venaient de déposer leur vieille bagnole à la décharge. Son père vient d'acheter une voiture neuve, et il a prévu de l'essayer ce week-end  en partant voir son frère à Dijon, et en famille, bien entenduà
Alors, pour ta dulcinée, ça me semble compromis que vous puissiez passer un petit moment ensembleà
A l'annonce de cette nouvelle, nous avons vu Titus s'effondrer en larmes, il était sérieusement accroché cette fois. Il fallait trouver une solutionà
Rémi, gêné d'avoir annoncé la mauvaise nouvelle s'était remis à balancer des cailloux sur les rails. Je l'observais en consolant Titus quand soudain, l'idée qui me traversa m'apparut comme une évidence.
J'avais trouvé l'idée qui allait permettre à Titus de passer un petit moment avec sa bien-aimée avant qu'elle ne parte sur les routes de France.
-    Rémi, viens avec moi vite, j'ai une idée, suis-moi ! Titus, ne  bouge pas, reste là, je viens te chercher et je t'explique !
Nous dévalâmes, Rémi et moi, la petite pente qui menait du pont jusqu'aux rails sous le regard interrogateur  de Titus.

-    Dépêche-toi Rémi, il nous faut trouver un tronc d'arbre ou une grosse  branche, nous allons la placer sur les rails et le train sera obligé de s'arrêter. Alors ils vont tous descendre pour voir ce qui se passe et Titus pourra voir sa copine, pigé ?
-    Super ! Allons-y vite ! Le train ne va plus tarderà

Après quelques minutes de recherches infructueuses, nous finîmes par dénicher un vieux tronc d'arbre vermoulu que nous plaçâmes non sans mal à califourchon sur la voie ferrée.
Nous remontâmes en courant dévoiler notre plan à Titus, qui pleurait tant qu'il riait, tout à son espoir de passer enfin un instant avec celle qu'il aimait tant.
Il ne fallut pas attendre longtemps pour voir le train s'approcher au loin. Titus dévala la pente à toutes jambes et se dissimula dans les buissons, prêt à bondir à l'arrêt du train. Rémi et moi étions tapis derrière le parapet du pont, pour pouvoir assister à la scène sans être vus.
Encore un virage, et la locomotive entamerait la ligne droite où se trouvait l'obstacle, elle ne pouvait pas le louper, on ne voyait que lui au milieu des rails.
Mais pourquoi ne ralentissait-il pas ? Qu'est-ce qu'il fabriquait à la fin, ce fichu mécano ? Bon sang ! Il n'y avait personne dans la cabine de pilotage !
Le train percuta de plein fouet le tronc d'arbre sans ralentir un seul instant, un énorme craquement retentit qui fit vibrer l'air tout entier. L'énorme masse métallique se mit à tanguer, s'immobilisa un court moment, puis basculant sur le côté vint s'encastrer contre la pile du pont de pierre, dans un fracas métallique effroyable.
Succédant au silence, des hurlements et des cris se mirent à retentir de toutes parts. Il était difficile de se rendre compte de l'étendue de la catastrophe, une épaisse fumée noire se dégageait de l'amas de ferraille, et des plaintes perçaient, couvrant le grincement des tôles métalliques disloquées.
Nous étions horrifiés devant le drame qui venait de se produire, ne sachant plus que faire.
-    Mon dieu ! Qu'est-ce qu'on a fait ? Qu'est-ce qu'on a fait ?
-    Arrête de te lamenter, il faut trouver Titus et se tirer, vite !
Avec du mal, je réussis à traîner Rémi, qui semblait prostré, au pied du pont. Partout, ce n'était que cris de détresse et hurlements, des formes bougeaient dans l'amas de fer broyé, il y avait du sang, du feu, de la fumée, c'était terrifiant. Je sentais mon estomac se retourner, mes jambes flageoler, mais je n'avais qu'une seule idée en tête : retrouver Titus.
Au loin, j'apercevais des gens qui commençaient à descendre des wagons encore debout, titubants, affolés, il fallait fuirà
Soudain, je l'aperçus, il était là, à genoux : dans sa main droite, il tenait une autre main plus fine, une main de femme, qui pendait d'un wagon disloqué. Il ne pleurait pas, ne criait pas, et arborait un sourire béat et niais. Il ne le quitterait plus jamaisà
Je le pris par le bras, et l'entraînait en courant dans la forêt, aidé par Rémi qui sanglotait comme un bébé. Il sangloterait toujours ainsi depuisà
Avant de disparaître dans les bois, je ne pus m'empêcher de jeter un dernier regard derrière mon épaule : la main délicate qui pendait du wagon appartenait à une douce jeune fille dont le thorax était traversé de part en part une poutrelle métallique. Du sang s'écoulait de sa bouche entrouverte, et une mèche de cheveux blonds couvrait imparfaitement deux yeux bleus grand ouverts qui semblaient me regarder et me demander POURQUOI ?
Je n'oublierais plus jamais ce regard, jamaisà
Les années ont passées depuis, personne n'a jamais su la vérité, personne sauf nous troisà
Titus ne s'est jamais remis du choc psychologique, il fut interné à la mort de sa grand-mère, et n'a depuis jamais prononcé un seul mot.
Rémi s'est laissé sombrer dans l'alcool et le désespoir, persuadé que tout est de sa faute, qu'il n'aurait jamais dû lancer les cailloux, il se met à pleurer à la moindre contrariété, une force de la nature brisée, humiliéeà
                                           
Et moi, moi, je résiste, je m'efforce de paraître serein, de soutenir mes compagnons et complices, mais ce fardeau devient trop lourd à porter, je n'en peux plusà
C'est pourquoi je dois partir et les abandonnerà

Je sens mon c£ur se serrer dans ma poitrine alors que j'emprunte le petit sentier qui traverse la forêt communale, premier virage, deuxième virage, et voilà le troisièmeà Le bosquet de fougères et d'épineux  est toujours là, je l'enjambe, je passe sous la barrière en soulevant le fil de fer barbelé rouillé. Rien n'a changé, tout est resté comme avant, et pourtant tout est si différent maintenantà
Ma gorge est nouée, mon souffle court, derrière la rangée d'arbres, j'aperçois les pierres du pont de chemin de fer. J'ai beau lutter de toutes mes forces, je sens les larmes me monter aux yeux au fur et à mesure que j'approche.
Voilà, j'y suisà
Tout est calme, immobile, un petit rayon de soleil caresse doucement la voie ferrée en contrebas, mais ma tête résonne encore et toujours de cris de douleur et de bruits d'acier froissé, mes larmes coulent sur mes joues sans que je ne puisse les retenir. Avec difficulté, je parviens au pied des rails, la pile du pont de chemin de fer a été refaite, les nouvelles pierres sont plus blanches que les anciennesà
Les sanglots me font tressauter, j'ai mal, très mal, plus mal que jamais.
J'ai tellement honteà
Doucement, je me baisse, touche de la main l'acier froid des rails, et m'allonge en travers de la voie ferrée. Je vais fermer les yeux, et rester làà
J'ai trop mal.

    Le vent me fait frissonner. Je me relève avec difficulté, empoigne mon sac de voyage, et longe la voie ferrée qui conduit à la gare où m'attend le train qui m'emmènera loin de tout ce gâchis. Un dernier coup de poignard me transperce le c£ur lorsque je passe devant la stèle qui a été érigée en souvenir des vingt deux personnes décédées lors du déraillement du train, il y a maintenant dix ans.
Je dois m'en aller maintenant, et enfin reconstruire ma vie, mais je ne vous oublierais jamais, vous avez été et resterez mes meilleurs amisà

Hors ligne

#2 26/01/2005 00:43:13

gregor
Invité

Re : Nouveau Venu

D'abord bienvenue. Je pense que tu n'as pas de critiques car ton texte est un peu long. Non pas que les BDAs soient fiegnants mais ce genre de post peuvent parfois rebuter même les plus chevronné. Je te conseil de poster un extrait parlant et de mettre le reste en lien. La je n'ai pas le temps de le lire, mais je le ferai sous peu...

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