Pour poursuivre ce dossier, voici une planche de Nemo7 commentée par Nemo7 et qui n'échappe pas ensuite aux critiques acerbes de deux membres éminents de BDA.

L'analyse de Nemo7 :

La série « Vilain ! » est née un peu par hasard, suite à une planche que j’avais faite pour le fanzine Onapratut. Il s’agit à chaque fois de la mort violente et totalement absurde d’un même personnage. Ca n’est pas une idée nouvelle évidemment, ça vient tout droit des cartoons où les personnages s’en prennent plein la figure avant de revenir aussi vaillant à chaque nouvelle scène.

Cette planche « Vilaine baignoire » n’est sans doute pas ma meilleure, mais je l’aime bien pour plusieurs raisons. Le gag est totalement absurde et je trouve que ça fonctionne pas mal, surtout en case 2 où l’aileron apparaît. Le fait que la baignoire n’ait aucune tuyauterie est voulu : il faut vraiment que le requin puisse venir de nulle part.

Le découpage régulier, six cases de même dimension, c’est un de mes tics : un gaufrier aussi régulier que celui-ci apporte un côté sérieux, maniéré, et donne un rythme mesuré et rigoureux à l’ensemble. Cela contraste alors avec le propos totalement déjanté. Le carrelage net et sans bavure du fond rappelle ce gaufrier, ça participe de la même dynamique : un côté un peu « so british » et pince-sans-rire que j’aime bien.

Une autre chose que je voulais avec cette planche et qui se poursuivra par la suite dans la série, c’est l’absence de dialogue ou d’onomatopée. C’est une contrainte supplémentaire que j’aime bien gérer, et qui donne au personnage un flegme assez drôle face à tout ce qui lui arrive.

J’ai souvent voulu recommencer cette planche, notamment pour le sol en case 1 qui n’est vraiment pas droit, ça fait bizarre… Il faudra que je m’y mette mais c’est vrai que cette version, avec tous ses défauts, me plaît tout de même assez !


L'analyse de 2goldfish :

« Rire, c’est bien », comme disait Aristote dans « citations plus ou moins exactes », et j’ai envie de lui répondre « Oui, Ari, mais comprendre pourquoi on rit, c’est mieux ». Aussi vais-je, point par point, vous expliquer pourquoi et comment vous avez rit devant cette planche. Ne me remerciez pas, je suis comme ça : généreux.
Commençons par définir le type d’humour employé ici, en confrontant cette planche a la définition de différents types d’humour tels que classifiés par Nietzsche dans son célèbre « compendium des blagues de totos » :

L’humour noir, est une forme d’humour caractérisée par la gravité de son sujet et une certaine cruauté dans le rire. Pour prendre un exemple : un strip dans lequel un homme marche sur une peau de banane et glisse, c’est de l’humour ; un strip dans lequel un homme marche sur une peau de banane, glisse et meurt, c’est de l’humour noir.
La plupart des sociétés humaines ont montré à travers les âges une certaine aversion pour la mort*. On peut donc classer cette planche dans la catégorie « humour noir », nonobstant l’appartenance du lecteur à un culte sataniste.

L’humour absurde, maintenant : L’absurde est la qualité de ce qui est insensé, idiot, contraire au bon sens. Reprenons notre exemple : un strip dans lequel un homme marche sur une peau de banane et glisse, c’est de l’humour, un strip dans lequel un homme marche sur une peau de banane et ne glisse pas, c’est de l’humour  absurde.
Après étude d’un échantillon représentatif des baignoires françaises, il apparaît que la présence de requin dans celles-ci est statistiquement rare, voire très rare. On peut donc considérer que cette planche fait appel à l’humour absurde.

Enfin cette planche est aussi l’exemple d’un humour moins connu, un peu délaissé par les humoristes actuels mais qui faisait encore les délices de nos parents il n’y a pas si longtemps : l’humour de baignoire. L’humour de baignoire, comme son nom l’indique, recouvre tout ce qui dans le comique a trait à la baignoire, et plus largement à la salle de bain en général (à l’exception bien sûr de l’humour de brosse à dents), mais aussi, comme son non ne l’indique pas, à tout ce qui est humour de deltaplane, mais c’est une autre histoire. Je vois quelques sourcils se lever, aussi vais-je devoir une nouvelle fois vous infliger mon exemple, tant pis pour vous : un strip dans lequel un homme marche sur une peau de banane et glisse, c’est de l’humour, un strip dans lequel un homme dans une baignoire, faisant du deltaplane, marche sur une peau de banane et glisse, c’est de l’humour  absurde.
Cette planche peut donc être qualifiée de… Ou je voulais-je en venir moi déjà ?
Bof, c’est bien assez long comme ça. Au revoir.


*On notera cependant que ces mêmes sociétés tendent bien souvent à valoriser la mort des membres d’autres sociétés, aussi la qualification de cette planche reste suspendue à l’identification oui non du lecteur au personnage.


L'analyse de Dr C :

Cette planche de Nemo7 intitulée vilaine baignoire manifeste, peut être plus qu'aucune autre, les multiples facettes de l'humour de son auteur. Pour le lecteur peu averti, ce gag est assez quelconque: un imbécile prend son bain dans une vilaine baignoire, cette vilaine baignoire lache un requin sur l'imbécile qui se fait bouffer. Nous laisserons les simples d'esprit ricaner sur cette lecture du travail de Nemo7. Car pour les êtres subtils comme moi, j'oserais dire pour les seuls vrais lecteurs, l'humour de l'auteur se situe à un tout autre niveau. Je consens exceptionnelement à dévoiler aux novices deux lectures véritables de ce double strip de Nemo7, lectures qui n'ont aucun mérite.

Les chants de la vilaine baignoire.

Premièrement chaque être de culture se doit de connaître par coeur les chants de Maldoror du Comte de Lautréamont. Or cette scène est un légitime hommage de Nemo7 à son ainé par la fougue: la strophe 13 du chant 2  ne décrit t'elle pas une étreinte entre Lautréamont et une femelle requin? "Alors,d'un commun accord, entre deux eaux, ils glissèrent l'un vers l'autre, avec une admiration mutuelle, la femelle de requin écartant l'eau de ses nageoires, Maldoror battant l'onde avec ses bras; et retinrent leur souffle, dans une vénération profonde, chacun désireux de contempler, pour la première fois, son portrait vivant. Arrivés à trois mètres de distance, sans faire aucun effort, ils tombèrent brusquement l'un contre l'autre, comme deux aimants, et s'embrassèrent avec dignité et reconnaissance, dans une étreinte aussi tendre que celle d'un frère ou d'une soeur."

Nemo7 nous livre ici une métaphore humoristique de la petitesse de l'homme contemporain.. Alors que le poète maudit Lautréamont choisi comme terrain de jeu la grandeur de l'océan, voilà le sort du poète maudit d'appartement s'il s'adonne au même type d'ébats en baignoire. On en rit à s'en décrocher la machoire.

Echec à la vilaine baignoire.

Secondement, la répétition du même motif en damier sur chaque case ne devrait laisser aucun lecteur indifférent. Nous sommes évidemment en présence d'un échiquier (miniature, il n'y a que 24 cases au lieu de 64), et la partie qui se joue recèle une gentille moquerie du jeu d'échec que nous allons sommairement exposer.

Il convient pour se faire d'identifier les pièces noires et les pièces blanches sur l'échiquier. On peut distinguer deux joueurs: la vilaine baignoire (blanche) et le protagoniste de l'histoire ( noir). Associons le requin (le fou), le canard en plastique (le roi) à la vilaine baignoire, et associons le chapeau (le roi), et la serviette éponge (la reine) au protagoniste de l'histoire.

Dès la première case il y a mat élémentaire en faveur du protagoniste principal: en effet il y a roi+reine(chapeau+serviette éponge)/roi (canard en plastique).

Seulement Nemo7 se moque bien des règles des échecs! A chaque case les pièces se déplacent de manière absurde, sans laisser au lecteur le temps de reprendre haleine entre deux éclats de rire.

La chute est une véritable apothéose, avec échec et mat en faveur de la vilaine baignoire par le canard en plastique. J'en ai fait pipi dans mon pantalon.