Entretien avec Mael



Quelle place occupe la bande dessinée aujourd’hui dans ta vie ? Quelle place lui verrais-tu occuper dans dix ans ?


Actuellement la Bande Dessinée occupe une grosse place dans ma vie, pas que dans le dessin d’ailleurs. Je mets assez peu de temps à faire mes planches. Mais j’en lis énormément, visite beaucoup de sites et surtout édite un fanzine tous les deux mois avec plein d’auteurs et ça c’est un boulot qui prend de la place.
Dans dix ans j’aimerais avoir fait 4/5 albums, et en avoir éditer beaucoup plus. Donc la BD dans 10 ans aura sans doute de la place dans ma vie mais soyons honnête : je ne compte pas en vivre et ça passera après mes études. Et dans 10 ans je préfèrerais avoir mon diplôme d’avocat qu’un prix à Angoulême (même si les deux seraient une bonne solution).


Y a-t-il un domaine de la bande dessinée où tu penses devoir faire particulièrement porter tes efforts à l’avenir ? ( la technique du dessin, la narration, la couleur … )

Ho, je ne sais pas trop.. Un jour où l’autre j’apprendrai forcément à dessiner, dans le sens strict du terme je veux dire. Pour ça je passerai par l’apprentissage de l’anatomie, de la perspective.. surtout par du dessin d’observation… mais c’est une chose qui demande du temps et de l’envie, actuellement je ne l’ai pas. Je m’amuse avec la couleur un petit peu mais pareil, c‘est un travail que je pourrais déléguer sans scrupules. Pour l’instant c’est certainement la narration qui m’importe le plus, mais bon la bande Dessinée c’est un tout. Dessin ET Narration.
La couleur c’est un plus. Parfois ça peut être indispensable et enrichir vraiment des ambiances, voire servir une histoire, souvent c’est pur artifice. Mais en tous les cas pour que ce soit bien fait il faut y passer du temps et je n’aime pas ce qui est fastidieux.


Envisages-tu une formation ou des études en relation avec la bande dessinée ?

Absolument pas. Plus exactement mon ambition est d’entrer à Sciences politiques pour atteindre le master Carrières Juridiques et Judiciaires. Mais bon, c’est Jean-Louis Gauthey qui expliquait dans l’excellent livre de Thierry Bellefefroid (Les éditeurs de bandes Dessinées, Niffle, 22 euros) que c’est une mentalité bien française d’imaginer qu’on ne puisse avoir qu’un vrai travail. Lui il a un boulot, est dessinateur, scénariste et dirige Cornélius, qui est un très grand éditeur. Donc cela prouve bien qu’on peut avoir divers boulots sans en transformer un en hobby. Donc le fait que je ne fasse aucune étude en rapport avec un médium sera loin de m’empêcher d’y travailler plus tard.


Si je te dis «  écrire de la bande dessinée », tu en penses quoi ?

Que c’est une formule à la mode, assez pédante, mais bon pas fausse pour autant. Comme je le disais plus haut une BD c’est un tout, ce n’est pas le scénario OU le dessin mais bien la fusion de ces deux éléments. Mais la chose essentielle dans la BD est la narration, que ce soit dans le texte, le dessin, le cadrage, tout doit impérativement raconter quelque chose. Il faut que ça aille dans le sens de l’histoire, que ça serve l’ambiance sinon tout est surchargé, ça ne sert à rien.
Cela dit j’aime beaucoup la BD absurde, de non sens, et j’aime aussi les cases surchargées jusqu'à la saturation. Mais la saturation est recherchée donc ça s’explique. Tout ça c’est pour la narration, en ça oui on peut dire qu’on écrit de la bande dessinée, car tout est calculé, construit. Même dans la BD improvisée.
Cela dit il y a des auteurs comme Jacques Velay qui se présentent comme des anti-narratifs et alors ça se complexifie…


A ton niveau, travailler avec les autres, c’est important ou pas ?

Pour ma part j’ai beaucoup d’occasion de travailler avec les autres, en tant qu’éditeur, scénariste, ou auteur pour tel ou tel fanzine ou revue. Et je pense que oui, c’est important et même primordial. La Bande Dessinée, comme tout art, a vocation à avoir un public et travailler avec nombre d’autres (auteurs, dessinateurs, éditeurs..) donne divers premiers regards critiques sur ce qu’on fait, et dans le cas d’un scénario illustré par quelqu’un d’autre un autre point de vue, une interprétation.
Il est certain que pour ça le travail collectif est toujours enrichissant. Mais on n'est pas dans « la petite maison dans la prairie » à être tous copains en se roulant dans l’herbe. parfois y a des clash et ça se passe très mal. Tant pis, c’est comme ça.


De quels auteurs particuliers nourris-tu actuellement ta pratique ? Que vas-tu chercher chez eux ?

Halala, ils sont extrêmement nombreux, y a tous les bédéastes undergroundeux comme Matt Konture, Blanquet, Doucet, Bruno Richard, Placid.. des grands maîtres du dessin comme Baudoin.. les incontournables type Franquin, Clowes, Goscinny, Gotlib, des gens comme Brétécher ou Tabary… c’est varié.. l’humour de Trondheim bien sûr. Des amateurs fabuleux comme Jzef ou les Docteurs O&C aux conseils si précieux…
Mais enfin bon je pense que la majorité de mes chocs graphiques ou narratifs ne viennent pas de la bande dessinée. Pour la narration je pense qu’on ne sort pas indemne de livres comme Le grand cahier d’Agota Kristoff, Le parfum de Patrick Süskind ou même Œdipe Roi de Sophocle… Quand mon frangin m’a fait lire Lolita de Nabokov ou la trilogie catholique de Montherlant, là j’ai senti des choses rares, des vrais souffles qui chamboulent l’esprit et donnent envie de créer différemment.
Ce souffle créatif c’est le même que j’ai ressenti devant les peintures de Bosch, Munch, Kees Van Dongen, Schiele… Qui ont fortement influencé mon dessin.


Quels sont les outils que tu affectionnes particulièrement ?

Ba, le plus simple c’est le crayon papier et l’encre hein… J’aime bien m’éclater en dédicaces avec des minis happenings aux clous, blanco, colle, peinture etc… mais :
1. ce n’est pas ce que je préfère pour dessiner et
2. le résultat n’est pas toujours concluant.


Quels sont tes projets en cours ?

Ho.. avoir mon bac et entrer à Science Po. Et puis sortir un Gorgonzola tous les deux mois, on va bientôt publier des petits albums bien sympa à l’Egouttoir, peut être fera-t-on un recueil de moi aussi. Il faut que je finisse des articles pour Comix Club et oxymore aussi…
Pis j’ai diverses écritures sur le feu, un machin sur le protestantisme, des pièces courtes, une sur Judas.. Iscariote ça s’appellera… si jamais ça dépasse le stade de projet… Y a aussi  Jeunesses nuptiales .. des petites poésies que j’auto-éditerai sans doute pour les distribuer aux copains, honnêtement je ne vais pas renouveler la littérature avec ça…


Maël, c’est plus un auteur ou un éditeur ?

C’est les deux, mais ce qui me prend le plus de temps c’est éditeur. C’est ce qui me passionne aussi, et puis bosser tout le temps avec des gens très talentueux ça finit par vous bouffer le moral face à vos planches. Une chose est certaine, j’ai du mal à me passer d’édition, c’est presque maladif, on a déjà parlé de « boulimie éditoriale » à mon propos.. je sais plus à qui je dois cette expression… Depuis que j’ai cette boulimie en tous les cas ma production personnelle a considérablement baissée, mais je fais un peu plus gaffe à la qualité aussi. Donc bon je pense que c’est complémentaire, mais l’édition est vraiment un truc qui me fascine, me passionne… ha au fait c’est http://legouttoir.free.fr pour découvrir ce que j’édite, c’est vrai quoi, j’oublierais presque de faire de la pub maintenant…
Auteurs, éditeur peut être mais pas brillant commercial ça c’est sur…


Tu es plus littérature ou bande dessinée ?

Si je dois beaucoup de mon influence directe à des artistes comme Konture par exemple il est clair que la construction de mon univers aurait été totalement différente si je n’avais pas lu Alice au pays des merveilles de Lewis Carrol, écouté Gainsbourg et les Béruriers Noirs ou découvert les peintres expressionnistes. Après plus littérature ou bandes dessinées… J’ai du mal à voir la frontière. Au fond c’est infiniment proche. Pour moi il y a une littérature dans la bande dessinée, et il y a des livres sans images qui ne sont pas de la littérature. Ce n’est d’ailleurs pas un mal, tout livre à un but, et tous les livres n’ont pas pour vocation d’être littérature. Donc bon…
Pour résumer, littérature et bandes dessinées c’est pas des choses qui s’opposent, je ne peux donc pas choisir. Mais une chose est certaine je préfère la littérature aux autres choses imprimées.
Ce qui ne m’empêche pas de lire un Troll de Troy pour me détendre ou de rigoler avec les premiers Tuniques bleues, qui sont des livres mais pas de la littérature. Alors qu’une bande dessinée comme Ghost World de Clowes ou Carla de Lob et Baudoin c' est de la littérature au même titre que Les caves du Vatican de Gide ou Caligula de Camus.
Pour finir l’expression « Roman graphique » n’a rien à voir dans tout ça, un format ne dicte pas ce qui est ou non littérature.





Bibliographie



1. Gorgonzola 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 9, 10 et 11 ( d'Octobre 2005 à Mars 2007). Mon fanzine, j'y publie à fréquence irrégulière mais signe toujours qu moins l'édito, la maquette, la sélection des pages, et bien sur le financement (avec mon frère Glotz)

2. L'Abécédaire, collectif, L'Égouttoir, Septembre 2005. Encore une fois édité par ma structure tant aimée. Un gros collectif imprimé qui a plein de qualités mais qui souffre de trop d'hétérogénéité.

3. Comix Club 3 et 4, je signe planches et articles dans la grosse revue critique de BDs éditée par Groinge. Ce doit être mes seuls travaux diffusés en librairies.

4. Le Calendrier Bdamateur 2006. J'y tiens celui là, une belle aventure et y a plein de beaux trucs dedans !

5. Ça pue 4, c'était le fanzine d'Iris et je dois avouer avoir été assez heureux de participer auprès de gens talentueux comme Docteurs O&C, André St Georges, Gio, Rox, Iris.. sans que ce soit moi l'éditeur !

5. Le Mouton Fiévreux, j'ai accepté de signer la quatrième de couverture de cette revue écolo imprimée sur un très beau papier recyclé.

6. Godblessyou! c'est mon seul travail solo, un petit graphzine sur les USA édité par Myxoxymore en 2006.

7. Comix Club 4, je participe avec un article sur le fanzinat dans cette belle revue des éditions Groinge et j'avoue avoir été assez flatté d'avoir été choisi pour représenter le fanzinat actuel.

8.  Tous coupables, une somme de 400 pages de dessins et Bds de soutiens au dessinateur Placid. Diffusé dans toute les bonne librairies j'ai eu la joie de participer à ce recueil en tant qu'auteur mais aussi avec l'Egouttoir en tant que co-éditeur.