La plupart des dessinateurs disent qu'ils ont toujours dessiné et qu'ils sont tombés dans la bande dessinée étant enfant…est-ce que c'est ton cas ?

Désolé je ne vais pas être bien original, j’ai toujours dessiné aussi loin que je me souvienne. Au tout début c’était plutôt des illustrations de petites histoires que j’écrivais.

Un peu plus tard, mes nombreuses lectures BD (je crois que j’ai été rapidement séduit par l’œuvre d’Hergé, puis ce fut le journal «  Spirou  », du très classique franco-belge quoi) m’ont amené à me lancer dans la réalisation de ma première BD  : «  La chasse à l’or  »  ! Je devais avoir dans les 10 ou 11 ans.

C’était une histoire de gangsters de 12 pages en petit format, ça commençait par le casse d’une bijouterie, les deux braqueurs fuient avec leur butin, des péripéties diverses sur leur route et pour finir une arrestation toute bête. Pas très original comme début je le concède volontiers…


Et ensuite, comment cela s'est-il passé ? Ces débuts t'ont-ils orienté par la suite vers des études en relation avec la bande dessinée ?

J’aurais beaucoup apprécié faire des études relatives à mon goût prononcé pour le dessin et la bande dessinée en particulier. Malheureusement les choses ne se sont pas aiguillées comme je l’aurais voulu et je me suis retrouvé après un BAC de commerce dans une filière avec laquelle je n’avais pas plus d’affinités que cela (transport et logistique).
Rapidement j’ai ressenti le besoin de faire une activité professionnelle où ma passion pour le dessin serait exploitée. Je me suis alors dirigé vers un apprentissage dans les métiers de l’industrie graphique en faisant une formation de deux ans comme opérateur PAO dans une imprimerie lyonnaise.
A l’heure actuelle je continue toujours à évoluer dans ce secteur d’activité en tant qu’infographiste plutôt orienté vers la publication au sens large.
La bande dessinée est toujours restée en arrière-plan de mon activité de graphiste.
D'ailleurs je ne dissocie absolument pas ces deux activités qui sont complémentaires et très proches au final.


Avant "Annick", premier tome de ton histoire actuellement en cours sur BDA, sur quels projets avais-tu travaillé ?

Avant le commencement en 2005 du projet trilogie «  Dérisoire Cri  » à partir du roman de Martine Brochet, je n’ai pas réalisé de gros projets au sens «  pro  » du terme. Seulement de la BD dans un but de détente et d’amusement sans autres ambitions.

Adolescent j’ai dessiné régulièrement des courtes BD dans des styles très variés au gré de mes influences du moment. Ce fut une série de westerns (les aventures du capitaine Walsh) lors de ma période inspirée par la série de Lambil-Cauvin «  Les Tuniques Bleues  », puis j’ai dessiné une série policière avec comme héros un détective privé (dénommé Mac Gum) et enfin un aventurier journaliste sportif voyageant à travers le monde (Alex Norton).


Parallèlement je réalisais aussi des histoires sur des sujets autobiographiques et familiaux sous forme de BD de 2 ou 3 planches maximum.

Ce n’est qu’en 1997-1998 que je m’essaie a une BD longue, elle s’intitule «  la Pierre de la Fertilité  », une quarantaine de planches, un scénario que j’écris plus ou moins au fur et à mesure de l’avancée du dessin et au final une histoire jamais terminée. Peut-être qu’un jour…

Voilà la première planche de cette histoire.


Ton style actuel était déjà bien affirmé, je trouve. As-tu subi des influences particulières ?

En fait au début j’étais très influencé par mes lectures BD d’ado. Etant lecteur assidu des hebdos «  Spirou  » et «  Tintin  » mon trait a naturellement suivi les séries vedettes de cette époque et de la BD Franco-Belge plus largement (années 80).
Quand je suis revenu plus tard à la réalisation de BD au milieu des années 2000 après une pause d’environ 7 ans, mon goût nouveau pour l’œuvre de Tardi a alors apporté une dimension un peu plus réaliste à mon dessin.
Même si je n’accroche toujours pas vraiment au style très réaliste dans la BD en général, je me rends compte que petit à petit mes décors évoluent et tendent à devenir plus réalistes tandis que mes personnages continuent à garder un aspect un peu caricatural… 


Oui, c'est tout à fait la direction que prend ton travail sur le "dérisoire cri". Peux-tu nous dire comment est né ce projet ?

Ce projet est né de ma rencontre avec Martine Brochet, nous nous sommes rapprochés dans le cadre de nos activités professionnelles au sein d’une coopérative d’activités lyonnaise. Martine désirait trouver un dessinateur pour adapter en BD son roman «  Le dérisoire Cri du Sublime Mammouth  ». A partir de là l’aventure a pu démarrer en septembre 2005.
Nous avons commencé par le tome 2 «  Sylvanna  » car cette partie avait déjà été découpée en vue d’une adaptation BD. Ce tome pouvait effectivement se suffire à lui-même au sein de la trilogie. Il est sorti en mini édition en 2007.
Nous avons travaillé dans la foulée le Tome 1 «  Annick  », commencé en 2008 et terminé l’an passé. Le tome 3 «  La Rencontre  » est actuellement en cours de réalisation depuis le début de cette année.

Comment Martine et toi travaillez-vous ensemble cette adaptation ?

Je pense que notre façon de travailler est assez classique.
Martine découpe son roman en une quarantaine de planches par tome, présentées dans un tableau. Chaque page est présentée sur deux colonnes avec une ligne par case  : une colonne « image  » qui décrit le dessin à réaliser et une colonne «  texte  » avec les textes à placer dans les bulles ou dans les blocs légendes.
Ensuite nous relisons en commun ce travail préparatoire pour voir si des modifications seraient à apporter sur les dessins ou sur les textes… A partir de là, je lui propose un crayonné qu’elle valide dans 999,999 pour mille cas. Après c’est à moi de jouer  : encrage, colo… On peut parfois encore discuter la colo et à la toute fin de l’ouvrage, nous discutons la mise en page finale.


Donc tu ne fais pas vraiment de "story-board", tu passes directement au crayonné ? Peux-tu nous détailler ta manière de faire : quel papier, quels outils, quel format, fais-tu des esquisses pour tes personnages, comment intègres-tu ta documentation en ce qui concerne les décors…enfin tout, quoi ?

En fait je fais bien un petit story-board sur un A5 avant de me lancer sur la planche définitive, ça me permet surtout d’être plus confiant avant la réalisation pour le placement des divers éléments visuels et textuels …

Pour la partie technique, je dessine sur du papier bristol au format A4 avec un crayon papier HB gris puis des feutres fins pour l’encrage et un marqueur pour les gros aplats. Du très classique quoi  ! J’utilisais des stylos encre de chine, avant, mais leur maintenance compliquée m’a poussé à les abandonner petit à petit.
Pour ce qui est des décors, sur le projet de la trilogie du Dérisoire Cri, avec Martine on effectue des repérages photos préparatoires pour être le plus proche de la réalité lyonnaise.


Et pour les décors, tu procèdes comment ? Tu décalques des photos, tu utilises une table lumineuse, tu copies à main levée ?

J’imprime la photo choisie pour illustrer la scène et je m’en sers de base pour dessiner à la main le décor, je ne décalque pas et je n’ai pas de table lumineuse. Je ne recopie pas forcément précisément en détail la photo, c’est seulement une base pour me faciliter le travail, je me l’approprie afin de rendre l’ambiance qui convient en travaillant les contrastes noir et blanc pendant l’encrage puis la couleur pour terminer.


Au fur et à mesure que tu avances dans ton récit, la couleur semble justement prendre de plus en plus d'importance. Quelle place lui accordes-tu réellement ?

Une place primordiale. La colorisation me permet de poser définitivement l’atmosphère et la chronologie dans le récit de chaque planche. Au départ n’étant pas spécialement à l’aise sur les contrastes de masses de noir et de blanc, la couleur me permettait de corriger ce point faible. Je prends de plus en plus de plaisir à mettre en couleur mes planches via Photoshop. Sur le tome 3 j’utilise de nouvelles techniques sur des mélanges de teintes et d’opacités qui améliorent le rendu, enfin je l’espère…


Voilà près de sept ans que tu travailles sur le même projet. C'est rare de voir un auteur amateur se tenir à un travail d'une telle envergure. Quelles sont tes motivations ? N'y-a-t-il pas par moments une espèce de lassitude ?

Non, pas vraiment de lassitude mais des pauses plus ou moins longues selon mon degré d’activité professionnelle du moment…L’envie de voir la trilogie bouclée me pousse toujours à avancer  ! De plus je travaille de temps en temps sur des petits projets de quelques planches comme par exemple sur le collectif BDA en 2009.

En général, combien de temps mets-tu pour réaliser une planche ?

C’est assez variable selon la complexité des décors à réaliser et de la colorisation…
Mais en moyenne il me faut entre 2 et 3 jours, du story-board à la mise en page finale.


Il t'arrive parfois d'utiliser la "citation" d'autres auteurs. J'ai, par exemple, cru croiser "l'ankou" de Fournier dans une de tes pages. Que peux-tu nous dire de cette pratique ?

Dans le tome 1 «  Annick  », l’apparition de l’Ankou, c’est un choix personnel. Martine, dans son scénario parlait d’une sorte d’être malfaisant qui jetait des clous sur la route. J’ai pensé à ce personnage de Fournier, cela me permettait par la même occasion de faire un clin d’œil à «  Spirou et Fantasio  » que j’aimais beaucoup plus jeune. Mais c’est une pratique occasionnelle que je ne recherche pas spécialement à appliquer régulièrement dans un but particulier.
Par contre il m’arrive souvent de reprendre un personnage secondaire de mon cru et de le remettre en situation sur d’autres planches ou d’autres tomes. Pratique utilisée sur le Dérisoire Cri, je laisse les lecteurs les retrouver  ;-)


Tu affiches un grand intérêt pour l'œuvre de Tardi et certains commentaires sur BDA notent cette influence dans ton travail. Que crois-tu avoir retenu de son travail ?

Avant de m’inscrire sur BDA je connaissais Tardi mais pas plus que ça finalement, j’avais lu «  120 rue de la gare  », j’avais aimé mais pas eu la sensation que son trait influencerait mon dessin. C’est surtout avec les com’s qui faisaient allusion à Tardi quand je postais une planche que j’ai perçu des ressemblances avec son style. Je me suis alors intéressé plus en profondeur à son œuvre que j’ai trouvé très riche et variée. Je n’ai jamais cherché à le copier, j’espère avoir un style qui m’est propre…

Et ce style, tu le travailles particulièrement ou pas ?

Non je ne le travaille pas, ou alors inconsciemment… Il évolue au fil du temps, planche après planche. Il évolue également en lien avec mes lectures. Si un procédé technique me plaît je vais essayer de l’utiliser de façon à ce qu’il s’intègre au mieux à mon propre style. Personnellement je pense que mon trait n’est pas figé, il va sans doute évoluer dans les années qui viennent en s’améliorant je l’espère…

Justement et pour parler des années à venir… as-tu des projets particuliers, seul ou avec des scénaristes ?

Oui, nous continuons sur notre lancée avec Martine avec le Tome 3 de la trilogie «  Dérisoire Cri  ». Egalement un projet d’une série policière dans les cartons toujours avec Martine à l’écriture. Je suis toujours ouvert à des participations ponctuelles sur des petits projets collectifs ici ou là, donc pas de risque de m’ennuyer pour les années à venir  !...

Eh, bien bon courage à vous et merci pour cet entretien Olivesx !

Pour visiter son site cliquez ici ----> http://bd-derisoirecri.over-blog.com/

Interview de Philippe Gorgeot

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